À Anas ALAILI
L’ami poète d’une Palestine debout ce
matin sur la pointe sèche d’un compas,
la charnière resserre, se serre –
charnier d’hommes, de femmes, d’en-
fants et d’arbres, et quel ongle ou cercle
mesurer ? Aucun cercle ou quart de
cercle, mais on pourrait peut-être mesurer
l’épaisseur des corps, les branches
courbes se recourbent de plus en plus
aussi, et la terre se décharne, boue, moue
de la terre défaite, désappointée ; mais de
sa défaite alors quelques plantes abs-
traites sortent, écrivent l’air et les oiseaux
lisent : l’air n’est à personne, à tout le
monde ; mais les avions effacent
(Enclaves espagnoles)
Amoncellement de branchages
et de vies
Des échelles de bois
grimpent les
fils de barbelés
La frontière aiguisée
mime
un cri aigu
aigu
Des uniformes ratissent en amont
Une tranchée creusée
Quelques mètres
Afin
que corps et écho
de cris
trébuchent
Dans la guérite
le garde civil espagnol
C’est un condensé
de désespérance
Des chairs sont tombées
par balles
ou
écrasées contre
contre
un double grillage surélevé
D’autres d’autres ont traversé
la mer verticalement jusqu’
au fond
Tout est noir qui noircit
de
plus en
plus
la peau la vie les cayucos* la nuit
bien sûr
toujours la nuit cela
se passe
L’enclave se rétrécit
Jusqu’à la taille
d’un focus
d’une caméra
*Les cayucos sont des embarcations de pêche uti-
lisées au Sénégal et en Mauritanie. Des passeurs
les ont utilisées pour transporter des personnes
Voulant traverser clandestinement vers l’Europe.
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C’est le silence qui dicte aux enfants
d’ainsi glisser sur les dalles lisses
blanches ornées de triangles noirs de la
salle des anges, courir, piétiner le parquet
de l’étage, puis même ronfler dans leur
sommeil dans la chambre 10; la lune bien
ronde se colle à la fenêtre, les traits
minces scintillants évoquent le lac, s’ar-
rondissent et se mêlent comme le tressage
d’un panier ; la nuit, de plus en plus,
blanche, avec pendus à son matin les sif-
flements vibrants d’oiseaux, par inter-
valle ; le corps s’avance dehors, avance
l’heure de fatigue,
par
à-coups
, j’imprime à l’une des branches un mou-
vement de rotation transversal,
l’enfance rôde aux alentours,
réminiscences et odeurs
s’évaporent du talus,
les feuilles des grumes et les autres
éléments humides sont signes seulement,
à la façon de la mémoire qui s’écorce et
roule à ras du cou ;
et quand la tête et les pieds s’alourdissent
près de l’entrée du château, les enfants
ont déjà repris le vacarme du jour.
Mohammed EL AMRAOUI, De ce côté-ci et alentour,
le dé bleu, l’idée bleue, 2006, p.82-87
[Centre du Patrimoine littéraire de la Turmelière]
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